Confrontation entre prescription et praxis dans l'évolution
de la grammaire
Chercheur principal : Shana
Poplack
Conseil des Arts du Canada
[2001-2003]
Cette recherche adopte une approche
variationniste au rapport entre forme et sens parmi des variétés
d'une même langue, qui diffèrent
selon des axes historiques et idéologiques. Nous examinons
des vernaculaires anciens et contemporains du français canadien
et l'effet des normes prescriptives sur ceux-ci. Pour ce faire,
nous puisons à partir de deux sources linguistiques uniques
qui n'ont pas auparavant été exploitées :
1) les une
collection d'enregistrements audio effectués pendant les
années 1950 auprès de locuteurs nés entre
1846 et 1895, et
2) le un recueil de
près de 200 grammaires et manuels d'usage publiés
entre 1558 et 1999.
Nous traçons l'évolution
de quatre alternances morpho-syntaxiques saillantes et stéréotypées
dans ces sources (l'emploi de l'indicatif pour le subjonctif, du
futur périphrastique pour le futur fléchi, du conditionnel
pour l'imparfait dans les propositions hypothetiques eu si, et de l'auxiliaire avoir pour être dans
les temps composés), en comparant leur comportement à
travers l'évolution de la langue avec leur usage contemporain,
tel que représenté par le (Poplack
1989).
Nos du français parlé contemporain
ont démontré que, malgré la prépondérance
de variantes non standard, les interprétations normatives
voulant que ce genre de variation corresponde à une simplification
grammaticale ne pouvaient être confirmées scientifiquement.
Les formes standard n'ont pas été perdues de tous
les contextes, les distinctions sémantiques n'ont pas été
neutralisées, et nous n'avons trouvé aucune évidence
que les structures grammaticales françaises ont été
remplacées par des constructions se rapprochant de celles
de l'anglais. En effet, ces résultats servent comme preuve
à l'appui d'une autre possibilité : que la variété
de comparaison (un stade « antérieur »
de la langue à définition floue) est elle-même
hautement idéalisée. Il est possible qu'elle se rapprochait
beaucoup plus de sa contrepartie contemporaine que le tient généralement
pour acquis la littérature normative et pédagogique.
Une comparison de l'usage contemporain avec celui d'un avant-coureur
du 19e siècle et du traitement grammatical de ces alternances
à partir du 16e siècle jusqu'à aujourd'hui nous
permettra d'examiner la possibilité que le « standard »
prescrit n'ait jamais correspondu à l'usage de la période
pertinente.
Ce qui est novateur ici est l'emploi
d'une méthodologie quantitative rigoureuse dans l'analyse
de l'évolution de la prescription grammaticale, ainsi que
le fait d'opérationnaliser les contraintes sur la variabilité
qui ont été établies selon la littérature
prescriptive comme facteurs dans une analyse multivariée.
Les résultats nous permettront de situer chaque variante
à l'intérieur de son secteur grammatical et de déterminer
lesquels des facteurs qui contraignent la variabilité contemporaine
étaient en vigueur à un stade antérieur. Cette
confrontation entre prescription et praxis, historique et contemporaine,
contribuera au savoir au sujet du changement morpho-syntaxique,
tout en élucidant l'impact de la prescription sur l'usage.
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